Protection sociale au Maroc : constat et défis.

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Photo de Gerd Altmann

La thématique de la protection sociale, du fait de son acuité et l’urgence du statuquo qu’il exige, a défrayé la chronique ces derniers temps et devenu de ce fait un thème en vogue dans les recherches académiques et universitaires. Un sujet qui a coulé beaucoup d’encre et présidé l’aune des journaux que ce soit au niveau national qu’à l’international.

Cette grande importance tire son potentiel de la relation vertueuse entre capital humain et développement socio-économique, dans la mesure où les théories de développement modernes n’ont pas cessé de placer la valorisation de l’être humain comme préalable de tout progrès. D’où la nécessité de le protéger et le préserver contre les risques sociaux qui peuvent mettre en branle sa santé et dégrader ses forces physiques et intellectuelles dont l’État a besoin pour participer à l’épanouissement collectif, générateur de richesses matérielles et immatérielles indispensable a tout développement.

Par conséquent, les pays riches développées tels quand se voit aujourd’hui ont centré la réussite de leurs modèles économiques sur le principe de la protection sociale ainsi que son corollaire la valorisation du capital humain et le respect de la dignité comme des variables fondamentales nécessaires au développement.

Comme bon nombre de pays, le Maroc, et depuis son Indépendance, n’a pas manqué l’occasion pour monter un système de protection sociale, certes embryonnaire dans ces premières expériences, mais qui présente aujourd’hui un potentiel énorme qui lui hissait au rang des systèmes modernes, surtout avec la nouvelle génération de réformes entamée en 2021 vers une généralisation de la protection a toute la population.

De ce qui est précité, nous pouvons présenter la problématique centrale de cette thématique de la manière suivante : Quels sont les carences du système actuel de la protection sociale au Maroc aux regards des exigences modernes de développement ?

Pour répondre à cette problématique, nous subdivisons notre article en deux parties, dans un premier temps, nous penchons sur le rôle de la protection sociale dans le développement socio-économique (partie I), alors que dans un deuxième temps, nous exposons le système marocain de la protection sociale avant la réforme et les défis qui pèsent sur sa généralisation à l’avenir.

I- La protection sociale : un préalable au développement.

Personne ne peut nier le rôle fondamental que joue la protection sociale dans le développement socio-économique, du fait de son importance dans la sécurisation de la population contre les risques sociaux (maladies, vieillissement, chômage, perte d’emploi, etc.). Elle se considère, désormais, comme un variable déterminant qui mesure le degré du progrès d’un pays.

Cette politique peut-être définit comme étant une pléthore de dispositifs de prévoyance collective, mise en place  par l’État et autres établissements relevant du ressort du secteur privé, afin d’aider les personnes à surmonter les difficultés inhérentes à des risques sociaux, lesquels peuvent entrainer des problèmes au niveau de leurs moyens financiers et de menacer leur Sécurité économique ou celle de leurs proches.

En outre, et à l’unanimité des instances internationales (ONU, BIT, Agenda onusien 2030 pour la réalisation des Objectifs du Développement Durables ou ODD) que nationaux tel le Conseil Économique et Sociale et Environnementale, la protection sociale est considéré conventionnellement un   » l’ensemble de dispositifs assurantiels et solidaires, de sécurité sociale et d’assistance, contributifs et non contributifs, garantissant une capacité de soins et de revenus à toutes les personnes et tout au long de leur cycle de vie ».

Ce mécanisme de solidarité prévoit une solution sociale incontestable de base pour garantir la dignité du citoyen, sauvegarder le pouvoir d’achat des ménages, préserver les catégories vulnérables ou à faibles revenus et aboutir à la justice sociale.

L’extension de la protection sociale permet, outre l’avantage de protéger le niveau de vie des populations les plus démunies, à anéantir les inégalités et contribue à son stade d’achèvement à instaurer une véritable équité sociale.

En plus de son caractère inclusif, la protection sociale promeut la viabilité et la durabilité à travers ses systèmes assurantielles de solidarité et de redistribution des revenus des plus riches vers les plus pauvres afin de consolider les bases d’une économie saine, pourvoyeur de richesse et dignité humaine,

Au niveau macroéconomique, les arguments en faveur du placement de la protection sociale comme socle prioritaire dans un développement économique, socialement inclusif, viable et durable se résument, dans

sa genèse à favoriser un modèle de croissance économique basée sur le développement d’un marché domestique solide, doté des moyens financiers nécessaire à la dynamisation de la consommation globale et à promouvoir l’activité économique, tout en s’assurant à l’ancrage d’une meilleure justice solidaire génératrice de richesse et progrès social.

Si les retombées positives de la protection sociale sont incalculables sur le plan global, a fortiori au stade microéconomique ou celle-ci procède en plus de la dynamisation des énergies, elle participe en outre à la libération des initiatives, en créant un écosystème propice au développement, et valorisable au capital humain, ainsi qu’au rehaussement de la productivité tant physique qu’intellectuelle des individus, ce qui crée l’épanouissement collectif productif de forte valeur ajoutée.

Il reste, néanmoins, à préciser que la révélation de ces vertus est tributaire de la mise en place d’un système managérial, et organisationnel fiable, efficace en termes de gouvernance et doté de mécanismes opérants de coordination et de mise en cohérence et d’harmonie entre ces différents programmes.

II- Système de la protection sociale au Maroc : typologies et contraintes.

Le système de la protection sociale au Maroc ne date pas d’aujourd’hui, il remonte aux années quarante du siècle dernier, le royaume a réussi à instaurer contre vents et marée les jalons d’un régime de solidarité sociale solide et performant, quoique souffre dans ces phases embryonnaires de certains dysfonctionnements inhérents aux affres du protectorat, les expériences accumulées en la matière, après l’indépendance, lui permet de capitaliser les acquis sociaux et jeté les bases d’une solidarité intergénérationnelle conséquente.

Dans ce sillage, le système marocain de protection sociale est caractérisé par l’existence de trois sous-ensembles qui composent son ossature, à savoir : un régime contributif, un autre semi-contributif et un dernier quasiment non contributif.

1- Les composantes du système de la protection sociale.

L’expérience marocaine en matière de la couverture sociale a permis la constitution d’un réseau assurantiel et de garantie contre les risques sociaux qui compte au son sein plus de 50 intervenants et acteurs repartis entre des organismes de gestion publics et des institutions privés dont en nous citons que ces principaux piliers, entre outre : la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS), la Caisse Marocaine de Retraite (CMR), le Régime Collectif d’Allocation de Retraite (RCAR) et les mutuelles fédérées au sein de la Caisse Nationale des Organismes de Prévoyance Sociale (CNOPS), etc.

Ce réseautage institutionnel collabore et coordonne ces actions, principalement, pour une bonne implémentation de la politique de protection sociale, formant parti des politiques de redistribution. Il est davantage orienté vers la lutte contre la pauvreté et la précarité, et plus généralement de s’assurer à garantie la dignité humaine, la préservation d’individus contre les menaces induites par les principaux aléas sociaux.

Le champ d’intervention de ces organismes vise à redonner en principe l’élan aux catégories de populations défavorisées, les orienter vers le développement d’activités génératrices de revenus et d’emplois, notamment, de l’aide à l’éducation, de l’assistance et couverture médicale, de services sociaux au profit de groupes démunies au profit des veuves, des orphelins et des handicapés…

Cependant, et pour accomplir convenablement ces missions sociales, les pouvoirs publics ont établi un système ingénieux qui abrite dans son ressort de fonctionnement de trois catégories de régime :

Une catégorie des adhérents salariés dite contributive correspondant à une sécurité sociale gérée par une myriade d’établissements relevant à la fois du secteur public au privé, dont les plus importants sont actuellement la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), la Caisse marocaine de retraités (CMR), le Régime collectif d’allocation de retraite (RCAR), et la Caisse Nationale des Organismes de la Prévoyance Sociale (CNOPS) …

Une catégorie des bénéficiaires partiellement contributive, représentée fondamentalement par le Régime d’Assistance Médicale aux économiquement démunis (RAMED) entré en vigueur en 2012 qui vise une couverture médicale de base aux personnes vulnérables, démunies et pour ceux qui éprouve des difficultés financières d’accéder aux services de soins de santé.

Des programmes sociaux de couverture non contributive, dont les plus représentatifs sont l’Initiative nationale de développement humain (INDH), entrée en vigueur en 2005 et ayant pour vocation de soutenir les activités génératrices de revenus et de l’emploi pour les personnes défavorisés, ainsi que le programme Tayssir destiné à lutter contre les déperditions scolaires et autres institutions d’assistance aux personnes en situation de précarité et de vulnérabilité…

Avec l’évolution de la société, l’essor démographique et les nouvelles exigences de développement économique et social reconnu par la communauté internationale, ce système peut être considéré de l’avis des analyses et experts comme inapproprié, car il souffre de certains dysfonctionnements qui approuvent ces limites et ébranle la confiance de solidarité qui constituait la raison d’être de son élaboration, vu que celui-ci ne constitue qu’un mécanisme dépourvu de cohésion et de complémentarité du fait qu’il ne couvre qu’une partie de la population alors que la majorité de la population est marginalisée par le système de couverture sociale.

En toile de fond, il se voit comme un processus incomplet abritant en son sein un système d’informations Très fragmentaire qui constitue par la force des faits un handicap majeur pour toute appréciation fiable capable de fournir un éclairage sur la situation de la protection sociale dans le pays et de réduire ainsi les erreurs d’inclusion et d’exclusion dont font l’objet certaines catégories de population.

2- Les contraintes du système de protection sociale :

Les ressources budgétaires allouées au système de sécurité sociale, le faible niveau de couverture, les carences enregistrées dans le secteur de la santé, la multiplicité des intervenants liées aux insuffisances de gouvernances, ainsi que le manque de convergence des différents programmes sociaux, sans parler du problème de ciblage des personnes concernées par la couverture… sont autant de contraintes qui empêchent le bon fonctionnement du système marocain de protection sociale.

Sur le plan financier, le problème des ressources budgétaires limitées de la protection sociale a été soulevé à plusieurs reprises sur les données de l’Organisation Internationale du Travail (OIT). Cette institution supranationale considère que le Maroc figure parmi les pays où les dépenses publiques en la matière, à l’exclusion du secteur de la santé, demeurent encore relativement limitées. Ces dépenses représentent actuellement à peine 5 % du PIB contre une moyenne de 7,7 % pour l’ensemble des pays d’Afrique du Nord.

S’agissant de la couverture effective de la protection sociale, le niveau global pour le Maroc se situe, désormais, à 20,5 % alors que le taux moyen s’établit à 33,8 % au niveau des pays d’Afrique du Nord et à 46,9 % au niveau mondial.

En ce qui concerne lu système de la santé, et en dépit des efforts entrepris et les avancées réalisées depuis la mise en œuvre de l’assurance maladie obligatoire en 2005 avec le projet de son extension aux populations sans ressources, ont permis, certes, d’améliorer considérablement le taux de couverture sanitaire de base qui devrait, suite à la réforme en cours, atteindre 70 %. Les dépenses totales de santé consolidées du secteur public et privé demeurent cependant limitées et sont estimées globalement entre 6 et 7 % du PIB.

À signaler dans ce registre que, les autres contraintes qui pèsent sur le système de santé, notamment, la faiblesse de l’offre sanitaire, le déficit énorme dont souffre le secteur en termes de ressource humaine qualifiés, le faible niveau d’encadrement ainsi que la problématique des disparités régionales dans l’accès aux soins médicaux dont souffre de plus en plus les zones enclavées et le monde rural.

L’autre défi majeur de ce système n’est autre que le chevauchement et la multiplication des intervenants dans la sphère de la protection sociale qui récence actuellement plus de 50 institutions et organismes qui coordonnent leurs actions de manière éparses et sans vision d’ensemble pour gouverner le système d’information des différents acteurs, cela permet bien entendu un manque de convergence et de visibilité sur les différents programmes empêchant par ricochet le développement d’un véritable système de couverture inclusif et durable, porteur de richesse et progrès social.

Sur le volet de ciblage des filets de sécurités : les observations et expériences montrent des dysfonctionnements, voire des carences au niveau de la politique de ciblage des bénéficiaires des programmes sociaux, générant par l’occasion des fuites de parts non négligeables de certains transferts vers des personnes non éligibles et non concernées par les prestations sociales allouées, tout en excluant injustement, des populations nécessiteuses et destinataires de droit.

De ce qui est précité et aux regards de ces contraintes, le défi de la généralisation de la protection sociale reste un chantier de taille et d’une envergure sans précédente, du fait que les régimes de sécurité sociale en place sont pour la plupart financés les cotisations prélevées sur le revenu du travail formel de certaines catégories d’emplois et sont de ce fait obligatoire, contributifs et solidaires. Elles marginalisent pour autant un nombre non négligeable et important de catégories de personnes, en particulier les actifs du secteur informel, les travailleurs des fonctions libérales, les aides familiaux, les enfants et les personnes en situation de pauvreté, de handicap et d’exclusion sociale.

L’entrée dans la dance de la pandémie en 2020 a aussi mis en évidence les faiblesses des régimes de prévoyance sociales, poussant à accélérer et à mieux concevoir les réformes à entreprendre à l’avenir pour tendre vers un système intégré respectant les principes d’universalité aujourd’hui partagés par la communauté internationale.

En effet, le contexte de la crise sanitaire a mis le système de la protection à rude épreuve, montrant un certain nombre d’insuffisances qui touchent plus particulièrement le domaine social, notamment la taille du secteur informel et la faiblesse des filets de sécurité sociale.

En guise de conclusion, peut-on dire que les carences dont souffre désormais le système de la protection sociale conjugué à la sévère expérience de la pandémie de Covid-19 à mobiliser les forces vives de la nation afin concevoir une profonde réflexion sur la réforme de ce système névralgique.

Une réflexion qui a abouti, après de longues phases de consultation, d’examen et de mise au point de la situation par les instances concernées, a la fameuse réforme par l’adoption d’une loi-cadre qui a jeté les bases de la stratégie baptisée Politique Publique Intégrée de la Protection Sociale (PPIPS).

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